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Blue Hours (EXTRAIT #01).




Contexte : Tard, dans une patinoire fermée au public. L'héroïne, Fred, pense qu'elle va avoir le droit à une fête pour son anniversaire, mais ce n'est pas tout à fait ce qui va se passer... (Note : pas de tiret cadratin dans cet extrait parce que flemme, désolée pour les amoureux de la mise en page !)


« Je suis en avance ! » je beugle, histoire de les stopper s'ils ont commencé ne serait-ce qu'à songer à manger le gâteau avant moi.

Personne ne répond. Je dépasse l'accueil comme un fantôme, en silence presque sur la pointe des pieds. La drôle de solennité de ce silence me rend timide.

« Virgile ? » tenté-je d'une voix hésitante.

De plus en plus interloquée par cette absence totale de bruits et de mouvements, je m'avance dans le couloir jusqu'au vestiaire où je passe sans me débarrasser ni de mon manteau ni de mes chaussures. Cette ambiance sinistre commence à me foutre les jetons, et je me dis que je serai bien contente de pouvoir fuir en moins de deux si un psychopathe me tombe dessus. Les films d'horreur m'ont appris qu'on n'était jamais trop prudent.

Je continue à avancer jusqu'à la porte qui mène à l'allée en caoutchouc que je connais bien. L'air froid me tombe dessus aussitôt en me gelant les joues et le bout des doigts. Je parcoure les alentours d'un regard nerveux. Toujours personne en vue.

« Virgile ? Yaëlle ? »

J'aurais voulu avoir le cran de le hurler mais tout ce qui sort de ma bouche ne s'apparente qu'à un murmure glacé. Je tends l'oreille et me concentre de toutes mes forces. Et soudain, j'entends un son. Ce n'est pas le genre de son que je m'attendais à entendre ; ce n'est ni le bruit d'un pétard ni une acclamation de joie.

Quelqu'un est en train de pleurer.

Une fille.

« Yaëlle ? » appelé-je, angoissée.

J'oublie que j'avais la trouille moins de quelques secondes auparavant, et j'accours en direction des pleurs. Le caoutchouc étouffe le bruit de mes pas. Je fais quasiment le tour de la piste avant de les trouver tous : Virgile et Yaëlle, debout autour d'un banc, en train de soutenir quelqu'un que je ne vois pas, quelqu'un de prostré dont les épaules sont secouées de sanglots. Comme je n'ose rien interrompre, je m'approche en silence. Yaëlle finit par détecter ma présence gênée et tourne vers moi des yeux soulagés.

« Tu es là ! Désolée, on a oublié de te prévenir. »

« De me prévenir de quoi? » grommelé-je, parce que je viens de reconnaître la nana que Virgile est en train de consoler et que cette nana me sort par les yeux.

Il s'agit de Zoé, une des lycéennes que mes amis fréquentent tous les deux entre deux cours. Si je devais être parfaitement honnête, j'avouerais qu'elle m'insupporte parce que j'en suis profondément jalouse, mais comme personne ne me le demande jamais, je me contente de la détester en silence. Elle est tout ce que je ne suis pas : une lycéenne entourée d'amis, pourvue d'une famille unie, sans histoire particulière. J'ai évidemment choisi ma voie et j'en suis fière, mais j'éprouve toujours une pointe de regret de savoir que ce pan-là de la vie de Virgile et de Yaëlle, je ne pourrais jamais en faire partie. Qu'ils vivent des tas de choses que je ne connaîtrais pas, et qu'ils voient des tas de choses que je ne verrais jamais. Zoé, elle, les vit avec eux. Pour ce que j'en sais, d'ailleurs, elle n'a aucun foutu problème avec les études parce qu'elle est surdouée et elle a même décidé en primaire du métier qu'elle voulait faire plus tard – avocate. À quel moment décide-t-on qu'on veut devenir avocate quand on a huit ans, bordel ? Cette fille n'est pas réelle ; c'est un cliché à elle toute seule.

Bon, il faut dire pour sa défense qu'à cet instant précis, là, tout de suite, elle a moins l'air d'un cliché que d'une épave ambulante. On croirait voir Rose sur son radeau au moment où elle décide d'abandonner Jack ; ses yeux ruissellent comme s'il y pleuvait – et manifestement, son maquillage n'était pas waterproof. Ses cheveux d'un roux clair sont emmêlés, ses épaules tressautent, de grands cernes violets lui dessinent des bateaux sous le regard couleur argent... Où est passée la madame parfaite que je connais ?

Une pointe de compassion me pousse à libérer la mèche qui pend sur ses yeux pour la remettre derrière son oreille. Elle me retourne un regard vide et renifle de plus belle.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? » lui demandé-je d'une voix abrupte.

J'imagine que les balbutiements sans queue ni tête qui s'échappent de sa bouche à ce moment précis sont censés être des explications, mais ils ne m'apprennent rien si ce n'est qu'en plus de se noyer dans le chagrin elle n'est plus capable de parler non plus.

« Et en clair ? » demandé-je à Virgile qui pousse un soupir las.

« Une histoire de mec », répond Yaëlle à sa place en sortant un mouchoir de sa poche comme un lapin de son chapeau avant d'essuyer elle-même une partie du mascara et des larmes de notre comparse désolée.

« Quoi, c'est tout ? »

Cette fois, les yeux perle me fusillent consciencieusement. Bon, j'imagine que j'y suis allée un peu fort.

« Désolée », grogné-je. « Je m'attendais au moins à un mort, avec toutes ces larmes. »

« Tu t'enfonces », m'apprend Virgile en aparté.

« J'avais remarqué, merci. »

« Barumprumpf », sanglote Zoé, ce qui voulait probablement dire quelque chose avant que ça ne sorte de sa bouche.

« Ton mec t'a largué ? » tenté-je de deviner.

On se croirait au pictionnary mais sans crayon et avec plus de morve.

« Fred, ma puce, est-ce que tu pourrais être encore un peu plus brusque, s'il te plaît ? » ironise Yaëlle.

Elle ignore royalement mon regard noir et part s'asseoir à côté de l'épave pour la prendre dans ses bras.

« T'inquiète pas, ça va aller, Zoé... »

« Non, ça va pas aller, ça ira plus jamais », bégaye-t-elle.

Enfin, des mots ! grince mon cerveau, une seconde avant que ma raison ne lui dise d'essayer d'être un peu plus sympa et compatissante. Mon côté garce a quand même ses limites.

« Vous avez vu... vous avez vu... foutu la honte... humiliée devant... devant tout le monde... plus jamais... plus jamais ! »

Yaëlle, qui est en train de lui taper dans le dos, s'avise de mon regard perdu et donne enfin me donner quelques explications :

« Paul-Henri a lu la lettre d'amour qu'elle lui avait envoyée devant tout le monde, histoire de s'en payer une bonne tranche et de montrer à tout le monde quel genre de connard arrogant il est ».

« … pas un connard », balbutie Zoé.

Personne ne l'écoute.

« Je ne savais pas qu'on pouvait se permettre d'être arrogant quand on s'appelle Paul-Henri », grincé-je à part moi.

Zoé se mouche un grand coup.

« Tu dis ça parce que tu l'as pas vu », grommelle-t-elle.

Yaëlle hocha la tête.

« Ce mec est un véritable dieu grec. Même si sa mère l'avait appelé Chaussette, il s'en serait tiré avec les honneurs. »

Je décide aussitôt de renommer Paul Henri Chaussette pour le restant de son existence de connard arrogant.

« Alors comme ça tu craques sur le physique, Zoé ? Fallait me le dire. Je t'aurais présenté à quelques uns de mes potes mannequins... »

« Tu pourrais arrêter deux secondes d'être condescendante, Fred ? » me morigène ma meilleure amie en me collant une tape sur l'épaule.

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